Arnaud Dolmen quartet
Origine : Guadeloupe
Line-up
Arnaud Dolmen : Batterie / Léonardo Montana : Piano / Francesco Geminiani : Sax Ténor / Samuel F'hima : Contrebasse
Artistes
À propos
Il a été l’homme de l’année 2022 pour le jazz français, qui l’a enfin consacré pour ce qu’il est : l’un des batteurs les plus doués de sa génération. Arnaud Dolmen, avec son ardent quartet Adjusting, conçu pendant le confinement et dont la musique questionne notre interconnexion, notre expérience humaine dans un monde aussi beau que bruyant. On y entend son drumming jazz très contemporain où résonnent les rythmiques ancestrales du tambour ka, apprises quand il était enfant.
Il se passe quelque chose de profond du côté des Antilles françaises en matière de jazz, et Arnaud Dolmen en est l’une des plus remarquables expressions. Entendu avec le saxophoniste Jacques Schwarz-Bart, la flûtiste Naissam Jalal ou le chanteur David Linx, ce batteur appartient à une génération trentenaire de musiciens qui, à l’exemple de ses cousins de la Caraïbe cubains ou portoricains, cherche à concilier une culture rythmique pluriséculaire avec le langage du jazz le plus contemporain. Pas étonnant que l’on pense à Dafnis Prieto ou à Miguel Zenon en écoutant sa musique : elle participe d’un même élan qui vise à activer des cellules rythmiques traditionnelles au cœur même du jazz le plus vif, à engager ses racines sans tomber dans le folklorisme, en évitant à tout prix les clichés exotiques.
Voir le concert au Théâtre du Chatelet (disponible jusqu'au 17/03/2025)
Avec ce deuxième opus, Arnaud Dolmen se révèle davantage, autant en qualité de compositeur de lignes de sonorités et de couleurs nouvelles, dans une singularité qui lui est propre, que sur des techniques de jeux libres et une esthétique profondément jazz.
Le titre “The Gap” est construit autour d’un élément central : la batterie, qui fait office de lien avec chacun des instruments. À ce titre, elle joue le rôle d’un instrument harmonique, celui du piano, l’instrument accompagnateur par excellence, revêtant un caractère autre que celui lui étant habituellement réservé dans la répartition du jeu, à savoir, marquer les accents rythmiques et réguler le tempo. La batterie se place à l’endroit même d’une singularité.
“The Gap” et “SQN” imposent le rythme de l’album. Les compositions sont franches, les coupures nettes, la musique affirmée et complexe se révèle encore plus à chaque écoute. L’artiste s’affranchit de son héritage ou de ses racines guadeloupéennes et s’y réfère constamment avec une double constante polyphonique majeure. Il y exprime ajustement, interactivité et résonance.
La surprise et l’ajustement ont été fondamentaux. Par un concours de circonstances Arnaud Dolmen a dû arranger les compositions de l’album pour deux quartets, où le piano et un des saxophones échangent leur rôle. Dans le quartet sans piano, le double jeu de saxophones apporte une vibration puissante sur l’affirmation d’un contretemps quasi permanent. Les titres “Hey cousin” et “Graj ou Toumblack” se rapprochent particulièrement de la polyrythmie, propre au compositeur.
Le jeu très libre et très ouvert appartient fondamentalement au genre jazz et se revendique comme tel. Il approche pleinement de l’expérimental mais il flotte aussi sur une ligne traditionnelle assez subtile pour se fondre sur d’autres registres très disparates et tout autant insaisissables. C’est véritablement à l’endroit des liaisons et des entrelacements que se trouve la puissance de frappe de l’artiste qui génère des impressions et des images changeantes en permanence mais complémentaires les unes avec les autres.
Nourries d’une densité d’apports musicaux d’origines diversifiées et riche de sa culture du gwoka, toutes ces musiques mises en contacts au travers de ses compositions créent en effet des données nouvelles totalement imprévisibles dont le dénominateur commun reste le jazz.
Bien que denses, en effet, ses compositions sont soutenues par un jeu profondément aéré qui s’impose en maturité. Même le son de l’accordéon de Vincent Peirani possède une double lecture intemporelle et non située dans l’espace lui prodiguant les possibilités d’un ailleurs indéfini.
Arnaud Dolmen a choisi deux autres invitées très engagées : Moonlight Benjamin transporte à travers sa voix un message fort d’une profondeur certaine. Naïssam Jalal, produit un jeu d’une envolée lyrique parfaitement maîtrisée. Elle fait intervenir le questionnement puis l’assurance de la plénitude du moment. Son jeu est puissant.
La caractéristique de cet opus est la juxtaposition ou la surimpression qui n’est pas la répétition. Le double saxophone y est sans doute pour quelque chose. Le niveau rythmique vient imposer sa marque et répond à une exigence absolue. C’est lui qui donne le « la ». Le titre final répond lui aussi à cette grande ouverture définissant tout l’ensemble dans une justesse de ton absolument savoureuse.